Chasseurs et non-chasseurs peuvent-ils cohabiter ?

Chasseurs et non-chasseurs peuvent-ils cohabiter ?

La mort, samedi 13 octobre 2018, d’un vététiste tué par un chasseur à Montriond (Haute-Savoie), relance une nouvelle fois le débat sur ce que l’on appelle les « conflits d’usage » entre les chasseurs et autres usagers de la nature (randonneurs, trailers, vététistes…).

Dit autrement, ce genre de drame, qui est loin d’être le premier et ne sera probablement pas le dernier, pose la question de la possibilité de cohabitation entre chasseurs et non-chasseurs.

D’un côté, les chasseurs revendiquent le droit d’exercer leur loisir comme bon leur semble, s’opposant même à la création, à l’instar de l’ensemble des autres pays européens, d’un jour « sans chasse » (voir en ce sens le refus catégorique opposé à cette possibilité par Willy SCHRAEN, président de la fédération nationale des chasseurs, lors d’un débat avec Marc GIRAUD, porte-parole de l’ASPAS, sur France Inter). 

De l’autre, les autres usagers de la nature souhaitent pouvoir profiter de celle-ci sans avoir à courir des risques pour leur vie, et critiquent la place démesurée laissée aux activités de chasse.

Une récente décision du préfet de l’Isère a cristallisé ce débat.

Par arrêté du 7 juin 2018, celui-ci a en effet fixé la date d’ouverture générale de la chasse au 9 septembre 2018, mais a aussi organisé une série de dérogations pour certaines espèces animales, autorisant expressément leur chasse pendant la période estivale.

Ainsi, s’agissant de la chasse aux sangliers, l’arrêté précise que du 1er juillet au 14 août 2018, les tirs sont autorisés tous les jours – sauf les dimanches et le 14 juillet – par approche individuelle ou à l’affût, sans chien, sur une période s’étendant d’une heure avant le lever du soleil et jusqu’à 10 heures, pour reprendre de 18 heures à une heure après le coucher du soleil.

Du 15 août au 8 septembre 2018, et faute de précisions, les tirs sont autorisés à toute heure.

Du 1er juin au 30 juin 2019, les tirs sont à nouveaux autorisés dans des conditions similaires à celles relatives à la période du 1er juillet au 14 août 2018, avec interdiction des tirs les dimanches et le 10 juin 2019 (lundi de Pentecôte).

S’agissant de la chasse aux chevreuils, daims, cerfs élaphes et sika, la chasse est autorisée dès le 1er juillet 2018, jusqu’au 28 février 2019 (puis également du 1er juin au 30 juin 2019 pour le cerf sika).

Des associations de protection de la nature (ASPAS, FRAPNA, Mountain Wilderness) et des habitants du département de l’Isère se sont émus de la possibilité ainsi ouverte aux chasseurs de pouvoir exercer leur activité en pleine saison touristique, dans un contexte de cohabitation avec de nombreux randonneurs.

Ils sont saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une requête en annulation de cet arrêté, et l’ont doublée d’une requête en suspension de l’arrêté.

Par une ordonnance du 1er août 2018, le juge des référés du tribunal a rejeté leur requête (TA Grenoble, ord., 1er août 2018, Aspas et autres, n°1804489).

Selon lui, aucune situation d’urgence n’était caractérisée.

Par un raisonnement en deux temps, il a d’abord rappelé que « La sécurité des personnes évoluant dans les milieux naturels, telles que, notamment, les randonneurs, nombreux dans le département de l’Isère tout particulièrement en période estivale, constitue un impératif de sécurité publique auquel est susceptible de préjudicier la présence de chasseurs munis d’armes létales ».

D’un autre côté, « il résulte de l’instruction qu’il est constant que la prolifération des sangliers dans le département de l’Isère est en augmentation régulière et source d’importants et coûteux dommages aux cultures et espaces agricoles, qu’elle engendre des risques pour la sécurité routière, exerce une pression sur d’autres espèces animales et rend pour cette raison nécessaire des actions de régulation de l’espèce au moyen, notamment, d’une pression cynégétique accentuée ; il n’est pas non plus sérieusement contesté que les autres espèces que le sanglier mentionnés aux points 2 et 3 sont à l’origines de dégâts en milieu sylvestre sur lequel elles exercent une pression nécessitant également des actions de régulation du nombre de ces animaux ; ainsi ces actions répondent également à des impératifs d’intérêt public qu’il convient de prendre en compte pour apprécier l’urgence invoquée par les requérants ».

Il s’agit-là de la classique application de la jurisprudence Préfet des Alpes-Maritimes (CE sect., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes, n°229562, Lebon), qui impose au juge des référés de peser tous les éléments en présence, dans le cadre de son appréciation objective de l’existence ou non d’une situation d’urgence.

Au regard des intérêts en présence, le juge des référés a estimé que la condition d’urgence n’était pas satisfaite, au motif que « les accidents de chasse impliquant des randonneurs ont un caractère rare voire exceptionnel et que ces accidents surviennent majoritairement à l’occasion de la pratique de la chasse en battue », que « les dérogations prévues par l’arrêté attaqué pour une ouverture anticipée de la chasse, par rapport à la date d’ouverture générale de la chasse, limitent la pratique de la battue pour la période courant jusqu’au 14 août, à l’espèce du sanglier, seulement en cas de dégâts ou de concentration anormale de ces animaux et sur autorisation préfectorale », et que « ces dégâts ou concentrations anormaux surviennent essentiellement en plaine dans des secteurs moins fréquentés par les randonneurs que les sentiers de montagne ».

Le juge en déduit qu’ « aucun élément du dossier ne permet de considérer que les dispositions critiquées de l’arrêté en cause conduiront à une augmentation notable du nombre de chasseurs sur des parcours habituellement fréquentés par des randonneurs en période estivale ».

Partant, l’extension de l’ouverture de la chasse à la période estivale par le préfet de l’Isère ne modifie pas substantiellement les risques de conflits d’usages et les risques pour la sécurité des non-chasseurs.

Reste à voir maintenant ce que jugera le tribunal au fond, d’ici quelques mois !

Yannis Lantheaume
Avocat au barreau de Lyon

www.droit-animalier.lantheaume-avocat.fr


1www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-01-septembre-2017

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